• Se laisser inspirer pour éviter d'expirer

    Hier matin, 10 heures, comme souvent, je pars me promener pour écrire et je m'arrête, après quelques centaines de mètres, au bord de la rivière. Une demi-heure plus tard, un cycliste passe et, intrigué me demande, : « Vous faites quoi ? ». Adorant par nature les questions intrusives des inconnus qui ne se mêlent pas de leur trognon, je réponds poliment : « j'écris », ce à quoi il s'exclame, sans s'arrêter et effaré : « vous écrivez !? ».

    Ce n'est que quelques heures plus tard que j'ai repensé à ce bref échange. Ce qui a surpris l'homme, ce n'est pas que j'écrive, tout le monde écrit, toute la journée. Et nul doute que si j'avais tapoté sur un portable, il ne m'aurait même pas adressé la parole. Non, ce qui a fasciné cet homme, c'est que j'aie pu utiliser un papier et un stylo en 2015.

    Sa réaction est somme toute assez logique. Qui utilise encore ces outils d'arrière-garde ? Les écrivains eux-mêmes ne reconnaissent-ils pas écrire depuis leur ordinateur ?

    Soit, mais n'y aurait-il pas une corrélation entre la médiocrité des productions actuelles et le renoncement au papier et au stylo ? Le refus des feuilles ne garantit pas du torchon. La surabondance des romans autobiographiques ou d'actualité ne viendrait-t-elle pas de la tendance des écrivains à rester chez eux et à surfer sur le web en espérant prendre la vague de l'inspiration ? L'abandon de la pure fiction n'est-elle pas favorisée par la difficulté de faire prendre l'air à son ordinateur de compagnie? Il faudrait être bien naïf pour croire qu'en jetant l'encre, on pourra aisément voguer vers de nouveaux horizons.

    Mais il y a autre chose. Le traitement de texte favorise les corrections et incite à écrire les premières phrases produites par le cerveau. Le papier et le stylo, au contraire, par la menace des ratures rendant le texte illisible, invitent l'auteur à laisser les phrases mûrir avant de les coucher sur papier. Or, une phrase qui a eu le temps de mûrir et une phrase corrigée ne sont pas équivalentes. Tout comme il est plus aisé de corriger une phrase mûre qu'une phrase brute. En littérature, ne pas faire de ratures ne suffit pas à éviter les taches. Enfin, ce n'est sans doute pas pour rien que Maurice Blanchot insistait sur le fait que littérature devait se lire « lis tes ratures ». Or, l'ordinateur tend à les effacer.

    Dernier point, l'agitation liée à l'usage de l'ordinateur est peu propice à la lecture. Or, la littérature se nourrit d'elle-même. Si les auteurs ne lisent plus les grand textes, ils ont peu de chances d'en écrire.

    Je parle ici de vraie littérature, pas d'écriture journalistique ou de chroniques pour lesquelles l'ordinateur peut très bien faire l'affaire.

    Bref, je ne saurais trop conseiller à Bernard Werber, s'il a des fourmis dans les doigts, de s'aérer plus souvent. Quant à Christine Angot, si elle voulait bien nous laisser ne serait-ce qu'une semaine de vacances, c'est toute la littérature qui lui en serait éternellement reconnaissante. On aurait pourtant tort de croire que réutiliser le stylo va leur ouvrir un buvard. Pour écrire une œuvre médiocre, l'ordinateur, c'est un vrai gain de temps. A quoi peut bien servir un stylo quand on n'a pas de plume ?

     

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