• Catch me if you can

    Pour faire plaisir à mon fils cadet, je l’ai accompagné à un évènement de catch à Paris en me disant que cela me ramènerait un peu en enfance, lorsqu’avec mon frère nous aimions regarder ce spectacle au premier et au deuxième degré. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit beaucoup plus que cela.

    Outre les prouesses acrobatiques de certains combattants et la magnifique ambiance qui a régné dans la salle du début à la fin, j’ai éprouvé pendant toute la soirée une sorte de plaisir cathartique que j’ai mis un certain temps à analyser.

    Comme dans les autres sports, il y avait toujours ce suspense autour de l’identité du vainqueur. Mais avec la fin de la malédiction de la défaite. Aucun déçu : vainqueur et vaincu satisfaits d’avoir simplement joué leur rôle et d’avoir œuvré pour le spectacle, d’avoir, comme l’explique Barthes dans ses Mythologies, « accompli exactement les gestes qu’on attend » d’eux.

    Le mensonge enfin maîtrisé, qui ne sortira pas de l’arène et qui n’aura aucune emprise sur la vie réelle. Nous étions tous à l’abri de la morsure de la trahison, réunis par une illusion pour une fois agréable, celle à laquelle on souscrit et qui ne peut provoquer ni déception ni cynisme.

    Uniquement de la cruauté feinte, des peurs contrefaites, un drame factice. Pouvoir se jouer enfin du hasard, ne conserver de la tragédie grecque que son sens de la mise en scène, ce que Barthes appelait « la représentation catchée de la douleur ». Une catharsis, non des mauvaises passions, mais du désenchantement. Avec l’emphase rassurante qui annonce toujours la couleur.

    Le simple plaisir d’assister à la chorégraphie du destin enfin réduit à ses dimensions humaines, confisqué aux dieux et aux forces supérieures, s’ébrouant dans ce cirque comme un cheval de dressage dont on admire la faculté à suivre les indications sans craindre qu’il ne s’échappe.

    Non plus, tel Hernani, cette « force qui va » et qui court à sa destruction mais l’énergie de l’espoir, et le parti de « l’amour du mensonge », celui qui faisait dire à Baudelaire : « Masque ou décor, salut ! J’adore ta beauté ». Non plus le danger de l’action mais des cascades inoffensives, le risque calculé des acteurs, qui, pour paraphraser Musset, « tracent dans l’air des cercles éblouissants sans que n’y pende une goutte de sang. » Une façon d’exorciser la vie, ne serait-ce qu’un instant.

    « Je pense à ceux qui doivent trouver en eux quelque chose après le désenchantement » écrivait Balzac dans sa correspondance.

    Ils vont sans doute noyer leur désillusion dans des spectacles de catch.

    « Une belle équipe de bras dédicacés
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