• Maisons d'édition : friture sur la ligne

     Si un jour vous avez du temps à perdre, je vous conseille vivement d'aller lire les « Qui sommes-nous ? » ou les plus sobres « Présentation(s) » des maisons d'édition. Vous constaterez que le discours est toujours le même : seule la qualité de l'ouvrage compte, peu importe le thème, la maison d'édition se vante d'être sélective mais avant tout éclectique. .

    Pourtant, la réponse à l'envoi d'un manuscrit à telle ou telle maison est aussi invariablement la même : «Malgré ses qualités, votre ouvrage ne correspond pas à notre ligne éditoriale ». Il y aurait donc en fin de compte une ligne éditoriale ? Mais alors quelle est-elle ?

    Est-ce simplement par politesse ou délicatesse que le comité de lecture ne nous donne pas les vraies raisons de son refus ? Je serais tenté de répondre par l'affirmative s'il ne m'était pas arrivé de recevoir une lettre dithyrambique d'une maison d'édition qui m'expliquait que malgré tout, elle n'était pas en mesure de me publier, la faute à la ligne éditoriale...

    La ligne éditoriale, c'est un peu comme la ligne d'horizon, on sait qu'elle existe mais on ne la voit jamais. Plus on essaye de s'en approcher, plus elle nous fuit. Je crois que je préfèrerais encore qu'on me dise : « votre livre, dont la lourdeur du style n'a d'égale que sa prétention pseudo-intellectuelle, n'est pas sans rappeler les heures les plus sombres de ce que certains osent nommer la littérature de Bernard Werber. »

    Mais je me rends bien compte qu'une telle réponse ne me suffirait pas non plus. D'abord parce que Bernard Werber, lui, est publié. Ensuite, parce qu'il suffit d'avoir déjà feuilleté quelques incipits dans n'importe quelle librairie ou supérette pour être définitivement convaincu que la qualité littéraire d'un ouvrage et sa publication sont deux choses complètement distinctes (sauf à considérer que l'usage systématique du présent de narration et des ruptures syntaxiques, comme le font presque tous les auteurs contemporains de manière souvent comique et parfois grotesque, est révélateur de littérature.)

    Dans ce cas, me direz-vous si vous avez eu le courage de lire jusque-là, à quoi bon faire des pieds et surtout des mains pour être publié si les maisons d'édition ne vous trouvent pas à la page et si les éditeurs sont un peu durs de la feuille ? A quoi bon gaspiller des ramettes si c'est pour continuer à ramer ? Et de toute façon, gavés qu'ils sont de manuscrits, que leur importe qu'un minus crie ?

    J'aurais en effet de bonnes raisons d'arrêter. Et de me consoler en me disant qu' avec tous les manuscrits que j'ai envoyés et les refus que j'ai essuyés, je peux me vanter d'avoir déjà à mon actif un nombre non négligeable de lecteurs. Je pourrais me dire également que l'important est que les éditeurs fassent bien leur travail et qu'ils aient permis de faire découvrir de vraies plumes comme La Fouine ou Christine Deviers-Joncour.

    Et bien non, j'ai beau savoir tout ça, chaque fois qu'on me dit que je ne suis pas dans la ligne, j'ai l'impression qu'on me coupe les segments et qu'on me laisse à la marge. Et l'absence de publication reste dans mon esprit une idée toujours aussi difficile à imprimer. Est-ce parce que la ligne est par définition illimitée que j'éprouve toutes les peines du monde à y mettre un terme ? Je ne sais pas.

    Quand je vois l'autobiographie de Maître Gim's sortie il y a peu chez Fayard, je ne peux m'empêcher d'admirer la propension qu'ont certaines célébrités à saisir d'emblée cette ligne éditoriale que j'essaie vainement d'appréhender depuis maintenant cinq ans. Et il faudrait avoir l'esprit très mal tourné pour penser que certains sont édités uniquement par des maisons d'édition que la pub lie. Alors je décide de repartir à la pêche à la ligne dans l'espoir qu'un éditeur morde à l'hameçon.

    Mais que faire quand les lettres qu'on envoie aux maisons d'édition concernées pour en savoir un peu plus restent toujours sans réponse ?

    « Couche avec l'éditeur » me conseille-t-on parfois. « Avec plaisir, réponds-je, encore faudrait-il savoir qui c'est ». Or il est impossible, dans les maisons d'édition, de tomber sur quelqu'un d'autre que les standardistes. Coucher avec l'éditeur, ce serait donc déjà sauter une ligne, quant à la standardiste, que lui dire ? Déjà qu'il est difficile de ne pas passer pour un original auprès des standards, que pourront-ils me dire sur la ligne sinon qu'elle est encombrée ?

    Reste l'option « coucher avec la standardiste ». Certes, elle présente quelques avantages mais pour ce qui est de vous faire atteindre votre but, c'est une autre histoire. Car si l'amour du bigo n'en fait pas pour autant des saintes, il ne faut pas confondre maniement du combiné et art de la combine. Ce n'est pas parce qu'elle est souvent au bout du fil qu'elle va nécessairement vous aider à le trouver. Et il y a de fortes chances pour que vous l'effeuilliez sans qu'on s'intéresse à une seule de vos pages. Même quand la standardiste ouvre les jambes et que vous la faîtes sortir de ses gonds, elle n'ouvre que rarement les portes.

    Et puis toutes ces démarches présentent un autre risque, non négligeable : celui d'importuner le monde de l'édition au risque de devenir un pestiféré dans le milieu.

    En ce cas, on a tout intérêt à rester discret et attendre son heure. Car à tout prendre, mieux vaut une non-édition qu'une malédiction.

     



     

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