• Je n’ai jamais été un grand fan de Rafaël Nadal. Je lui ai toujours préféré l’élégance et la fluidité de son rival, Roger Federer. Mais je dois reconnaître qu’hier, en regardant son match contre David Goffin au 1er tour du Masters, j’ai été impressionné par son attitude.

     

    Visiblement gêné par une douleur au genou droit dès le début de la rencontre, l’Espagnol n’a jamais semblé envisager l’idée d’abandonner. Pas même au troisième set quand celle-là était si intense qu’il devait renoncer à chercher certaines balles, ralentir son engagement pour éviter de trop pousser sur les jambes voire jouer contre nature pour écourter l’échange en montant au filet à la moindre occasion. Pas même quand il a concédé un double break le condamnant de manière quasi certaine à la défaite.

     

    Non seulement il a retenu des larmes de douleur au changement de côté mais il a semblé s’appliquer à se tenir le moins possible le genou, à ne pas se plaindre de sa douleur et ce jusqu’à la balle de match. En partie parce qu'il a un mental hors pair et qu’il y a cru jusqu’au bout, c’est vrai –il est même parvenu sur une jambe à refaire un de ses breaks de retard-. Mais également car il a voulu laisser aux spectateurs la chance de vibrer jusqu’à la fin et à son adversaire le droit de savourer une victoire qui ne soit pas amputée de l’émotion du dernier point, minimisée par un abandon ou galvaudée par la gêne trop manifeste de son rival du jour.

     

    Quand on pense au nombre de grimaces et de lamentations d'Andy Murray à la moindre piqûre de moustique ou à la promptitude avec laquelle les joueurs français sont capables d'abandonner, il y a effectivement de quoi être admiratif.

     

    Le numéro 1 mondial, en tenant à sortir par la petite porte de la défaite dans les règles, est sorti par celle des immenses champions, ceux qui ne sont jamais aussi beaux et humains que dans la défaite. Celle de la noblesse et de l’humilité. Hier soir, Rafaël Nadal n’a pas battu, et il s’en est finalement fallu de peu, David Goffin. Mais à la manière d’un marathonien, il est sorti victorieux du match qu’il a livré contre lui même. Et c’est autrement plus méritoire.

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  • Je suis de plus en plus sidéré, choqué même par le conservatisme de nos grands écrivains. Si nous tenons vraiment à créer une société ouverte sur le monde, dans laquelle les futures générations puissent s’épanouir et vivre en harmonie, il me paraît urgent de corriger certains textes afin d’en effacer les honteux stigmates sexistes, racistes, réactionnaires ou transphobes.

     

    Imaginez quel message d’espoir nous transmettrions à nos enfants si nous parvenions à leur léguer une littérature bienveillante, intersectionnelle, pluraliste et moins offensante.

     

    Voici ce que deviendrait, dans un monde idéal, l’un des poèmes les plus connus et les plus étudiés en classe de Paul Verlaine, « Mon rêve familier ».

      

    « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant »

     D’emblée, par l’usage de l’adjectif « pénétrant », le poète se place du côté des dominants et impose la norme virile comme le rappelait fort justement il y a quelques jours la philosophe Olivia Gazalé :

    http://www.20minutes.fr/societe/2159983-20171106-norme-virile-valorise-penetrant-stigmatise-penetre-deplore-philosophe-olivia-gazale. Choisissons plutôt une formule plus inclusive : « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant ou pénétré ». Ce choix d’écriture présente en outre l’avantage non négligeable de bannir la rime, habitude bourgeoise et conservatrice.

     
    « D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime ». Ici, l’auteur, pourtant homosexuel, fait un choix clairement hétéronormé, sans doute enserré par les contraintes sociétales de l’époque. De même, sa vision patriarcale de l’amour transparaît à travers l’inégalité dans le traitement de l’homme, qui initie, et de la femme, qui subit et qui n’est capable d’aucune prise de décision mais uniquement de réciprocité affective. Voici ce que Verlaine aurait dû écrire s’il avait été davantage fidèle à ses convictions et plus déterminé à faire triompher la cause progressiste :

     

    « D’un homme/ d’une femme inconnu·e et qui m’aime, et que j’aime »

     

    "Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
    Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend. » Là encore, le poète cède aux injonctions de l’époque. La femme est réduite à une simple fonction, elle est interchangeable (culture du viol) et n’est considérée qu’à travers les prismes maternel et utilitaire. Elle ne serait là que pour assister l’homme, le servir, lui prodiguer des soins. Cette vision sexiste de la femme qui pointe dans ces deux vers atteint son paroxysme à la strophe suivante.

    « Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
    Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
    Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
    Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. » Ajoutons que le nauséabond « front blême » nous renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire puisqu’il érige l’homme blanc en modèle et invisibilise les minorités.

    « Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
    Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
    Comme ceux des aimés que la Vie exila. » Le premier vers du tercet, en plus d’invisibiliser les racisée·e·s, tend à définir la femme par sa couleur de cheveux au lieu de mettre en avant les vraies identités de genre et de sexualité. On n’oubliera pas également d’enlever la référence à l’exil qui pourrait blesser certain·e·s. Enfin, on veillera à remplacer le passé simple, temps excluant et marqueur social créateur d’inégalités, par un plus accessible passé composé.

    « Son regard est pareil au regard des statues,
    Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
    L'inflexion des voix chères qui se sont tues. » La comparaison de la femme avec la statue la réduit au rang d’objet et renvoie à une vision archaïque, manichéenne et machiste de la société. Sans compter que la beauté ne devrait pas être le critère numéro un dans une relation amoureuse, Verlaine aurait dû davantage lutter contre l’injonction à être belle prônée par nos sociétés. En outre, la référence aux statues est loin d’être uniquement méliorative si l’on songe un instant à toutes celles qui représentent des figures historiques douteuses, prônant le nationalisme et le racisme. Ajoutons que considérer la voix comme un attribut permettant de différencier le féminin du masculin est non seulement stigmatisant pour les gens de sexe neutre mais également contraire à toutes les études scientifiques de genre.

     

    Voici donc ce que donnerait, en utilisant bien évidemment l’écriture inclusive, seule langue garantissant l’égalité des sexes, et en dérégulant la forme réactionnaire du sonnet, une version de ce poème non offensante et respectueuse des minorités  :

     

    Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant ou pénétré, d’une femme/ d’un homme inconnu·e, et qui m’aime, et que j’aime, et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait le/la même, ni tout à fait un/ une autre, et m’aime et me comprend tout comme je le/la comprends également, dans un même élan de fraternité solidaire et de vivre-ensemble.

    Car il/ elle me comprend, nous nous comprenons, et mon cœur transparent pour il/ elle seul·e, hélas! cesse d’être un problème, tout comme le sien cesse d’être un problème pour moi. Pour il/ elle seul·e, et les moiteurs de mon front blême/ mat/ marron/ noir/ jaune, il/ elle seul·e les sait rafraîchir tout comme je les rafraîchis aussi, en pleurant.

    Est-il/ elle brun·e, blond·e ou roux·sse, gay, lesbien·nne, bi, trans, queer, allosexuel·le, pansexuel·le, neutre, cisgenre, métis·se, racisé·e? Je l’ignore. Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore, comme ceux/ celles/ celleux des aimé·e·s que la vie a éloigné·e·s.

    Son regard est très beau, mais ce n’est pas le plus important car j’apprécie surtout chez lui/ elle sa volonté de lutter contre le repli sur soi et les idées nauséabondes. Pour elle/ lui, je décrocherais la lune ou déboulonnerais des statues de Colbert et du Général Lee.

     

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