• Une correction à corriger

     L’indifférence du monde à l’égard des gens qui subissent la torture me semble chaque jour un peu plus inacceptable. Va-t-on continuer à se taire et laisser ces gens souffrir ? L’actualité (de l’interview de Sarkozy à la viande de cheval en passant par la Lorraine) doit-elle tout vampiriser au risque de faire passer les faits essentiels pour des fantômes?

    Quand va-t-on enfin parler des anonymes, des gens qui souffrent, ? je veux bien sûr ici parler des professeurs et plus particulièrement de ceux de Français.

    Comment se peut-il en effet que le gouvernement accepte qu’un professeur de Français -et par conséquent un amoureux des lettres- puisse passer une bonne partie de sa vie à lire des productions dont l’insignifiance n’est pas sans rappeler les meilleures pages d’Amélie Nothomb  alors qu’il fait des pieds et des mains pour délivrer des otages nourris et blanchis qui passent le plus clair de leur temps à dormir dans des pays chauds ? Cette torture-ci n’est-elle pas sans commune mesure avec celle-là ?. Ce malaise collectif se double d’un malaise individuel car comment occulter le fait qu’en mobilisant mon temps et mon énergie à corriger des copies, je prive une partie non négligeable de la planète ( de l’ordre de 0, 000000000000000001%) d’une chronique aussi hilarante que savoureuse ?

    Il existe certes des techniques pour atténuer le spleen provoqué par les copies mais aucune ne semble capable de l’anéantir définitivement.

    1/ Le « copies collées »

    Cette technique simple consiste à écrire dans l’en-tête du devoir la même remarque sur chaque copie. Il faut, évidemment , pour se prémunir de toute contestation, veiller à être nuancé dans son appréciation et équilibrer parfaitement les remarques positives et négatives. De la même façon, on prendra garde à ne pas être trop précis mais au contraire à privilégier les formules générales et les expressions passe-partout, qui, comme chacun sait, ouvrent toutes les portes.

    Ex : « Malgré d’indéniables qualités, votre devoir tombe parfois dans la facilité. N’oubliez pas qu’un tel exercice requiert une exigence toute particulière et qu’il ne saurait souffrir ni imprécisions ni approximations. Vous pouvez faire beaucoup mieux à condition de faire preuve de davantage de rigueur et d’attention. »

    Pour éviter que les élèves découvrent la supercherie, on privilégiera ce type d’approche lors du BAC ou des examens blancs, autrement dit lorsque toutes les copies sont mélangées.

    2/ L ‘épaulée jetée

    Cette technique, plus difficile à appliquer, est exactement la même qu’en haltérophilie. Il suffit de poser, telle une haltère, le paquet de copie à ses pieds, de fléchir au maximum les jambes tout en inspirant puis de soulever le dit paquet jusqu’au dessus du niveau des épaules. Une fois la prouesse effectuée, jetez le paquet au sol en vous assurant d’avoir préalablement déposé une poubelle en dessous. Cette technique est la plus performante du point de vue du gain de temps mais elle divise le corps enseignant car certains puristes considèrent qu’elle pose un problème déontologique. Pourtant, quoi de plus normal que de destiner ces copies à leur habitat naturel ? C’est presque un retour aux sources pour elles et la quasi-garantie de leur épanouissement.

    Il n’est pas impossible toutefois qu’une trop grande utilisation de ce procédé amène les élèves à se poser quelques questions.

    3) Une correction incorrecte

    Enfin, on peut aussi choisir, si l’on est un peu dérangé psychologiquement, de lire et de corriger entièrement chaque copie. Cette technique est sans doute la moins pertinente car outre qu’elle prend un temps fou, elle se révèle dans la plupart des cas inefficace, une étude ayant montré que dans 100% des cas, les notes étaient, quoi qu’il arrive, comprises entre 0 et 20.

    Obliger, pour finir, des amoureux des lettres à réduire leur appréciation à un simple chiffre, c’est plus qu’une offense, c’est une incorrection.

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  • Commentaires

    1
    nabelle
    Dimanche 17 Mars 2013 à 20:22

    "Pourtant, quoi de plus normal que de destiner ces copies à leur habitat naturel ? C’est presque un retour aux sources pour elles et la quasi-garantie de leur épanouissement." j'adore ! subtilité sans trop en faire.

    "... ne saurait souffrir ni imprécisions ni approximations" pour un paragraphe concernant la remarque identique, c'est plutôt pas mal :-)

    et la chute est superbe.

    je me répète, certes, mais là au moins, j'étaye mon propos pour redire que t'es un as Quamel.

     

    Nabelle

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