•  Pour combattre l'ennemi, il faut d'abord savoir qui nous sommes

    L'heure est à la cohésion, à l'union nationale, entend-on depuis trois semaines. Mais autour de quoi nous réunir, qu'avons-nous encore en commun ? L'Europe ? Oui, à condition d'avoir un grand sens de l'humour. La nation, la patrie ? Attention, vous vous apprêtez à faire le jeu du front national. Quoi, alors ? Qu'est-ce que la France, à part un drapeau bleu-blanc-rouge et la Marseillaise ?

    C'est tout l'enjeu du livre de Natacha Polony intitulé Nous sommes la France et qui pose d'emblée cette question : qui est ce « nous » ?

    Car c'est bien un destin commun que le livre cherche sans cesse à dessiner. Mais il n'y a pas de destin commun sans partage de valeurs communes, sans sentiment d'appartenance à un groupe, à une collectivité qui dépasse l'individualité.

    Non la France n'est pas et n'a jamais été un pays multiculturel. Mais au contraire un pays qui cherche à transmettre à tous la même culture, historique, géographique et littéraire. Or en abandonnant cette triple mission pour des raisons idélogiques autant que mercantiles, la France est devenue une entité administrative vide de sens.

    Par peur de tomber dans le roman national, l'enseignement de l'histoire a abandonné le culte des héros pour se livrer presque exclusivement à la critique du pays, peu propice à rassembler ses citoyens sous la même bannière.

    En outre, les spécificités géographiques de la France, l'incroyable diversité de ses climats, de ses paysages, ont été oubliées de peur de sombrer dans le nationalisme, grand péril moderne. Quant à la richesse de son patrimoine agricole et culinaire, nous l'avons en grande partie, au contraire d'un pays comme l'Italie, resté attaché à ses traditions, abandonné à l'Europe, sans que cela nous émeuve plus que ça de détruire nos paysages pour que poussent les publicités et les centres commerciaux, et d'affamer nos paysans.

    Or,« On a fait sortir de terre des pavillons semblables de Dunkerque à Perpignan et de Colmar à Plougastel, dans lesquels les enfants vivent la même vie, faite de télévision, de jeux videos et de sorties au Macdo avec BigMac, grandes frites et Coca géant. » écrit la journaliste, avant de souligner le contraste entre ces vies indifférenciées et la quête d'absolu de la jeunesse, qui peut parfois conduire aux pires extrémités : « Nous n'avons pas limité l'élevage hors-sol aux tomates et aux bovins. Nous l'avons, et c'est la caractéristique principale de l'époque, étendu à notre jeunesse. Le consumérisme hédoniste […] n'a plus rien à offrir à des jeunes gens en quête de sens, à la recherche de quelque chose qui vaille d'échanger leur vie, voire de la perdre. »

    Enfin, si les grands textes sont encore enseignés à l'école, c'est rarement dans la perspective de former des citoyens affranchis et capables à leur tour de penser, mais plutôt, selon la grande idée de l'IUFM, afin que chacun puisse s'exprimer. « l'école ne leur aura pas apporté ce savoir dont les humanistes pensaient qu'il était la condition de notre humanité. Ce savoir qui tient lieu à lui seul de quête spirituelle quand il n'est pas recherche d'érudition mais cheminement. » explique Natacha Polony, avant d'ajouter « L'école qui devait venir à bout de l' obscurantisme est le lieu de son triomphe. » Puis la journaliste de reprendre la conclusion d'un professeur de philosophie : « on leur a donné la parole sans leur donner les mots »

    En rappelant les liens entre hellénisme et christianisme, elle accuse également en creux la ministre de nous enlever encore une chance d'expliquer qui nous sommes et d'où nous venons. S'appuyant sur les réflexions d'Olivier Roy, elle montre combien une religiosité « pure », coupée de ses racines culturelles, est dangereuse, comme nous l'ont prouvé, si besoin était, certains talibans pakistanais ou pentecôtistes américains. Ainsi, la fin de notre modèle républicain renonçant à l'intégration n'est pas très éloignée de celle de l'Empire romain. De là à dire que NVB serait un accélérateur du sens de l'histoire, une sorte de figure hegelienne, eh bien, il n'y a qu'un pas.

    Mais cet échec de l'école et de la Nation tout entière dans le domaine de la transmission ne vient pas de nulle part. Si nous avons échoué à transmettre, c'est que nous nous sommes trompés dans les constats qu'il y avait à faire des évènements récents. « Pourquoi [...] n'a-t-on pas, selon les mots de Charles Péguy, eu le courage de voir ce que l'on voyait ? », s'interroge la journaliste.

    Parce que, depuis 2002 et la sortie du livre Les territoires perdus de la République, qui a cherché à nous alerter sur la montée du fanatisme et la menace que cela constituait pour la République, nous avons préféré taxer de racisme et de fascisme quiconque oserait prétendre que certains musulmans se radicalisaient.

    Et cela s'est poursuivi, même après le 7 janvier : aucun lien avec la religion, nous a-t-on expliqué. Aucun, vraiment ? « pas un rappel de ces videos de l'Etat islamique appelant les fanatiques de France et d'Europe à frapper les « infidèles » en se jetant sur eux avec leur voiture, en les agressant à coups de couteau ou avec n'importe quelle arme » ? se demande la journaliste.

    Non, non, aucun lien, on vous dit. En revanche, tous ceux qui oseront contester cette version seront aussitôt considérés comme "islamophobes", au risque, explique la chroniqueuse au Figaro, que cette prétendue islamophobie devienne « la meilleure arme contre les musulmans eux-mêmes, en ce qu'elle veut faire croire à leur refus unanime de la laïcité. [ ...] Car l'amalgame, le fameux amalgame invoqué de manière obsessionnelle, qui le pratique, sinon ceux qui croient que faire respecter la loi sur le voile intégral serait une atteinte à tous les musulmans ?»

    Mais le non-dit n'est pas seulement celui qui consiste à ne pas vouloir mettre de mots sur ce qui s'est produit, c'est également celui qui refuse de poser certaines questions. « Si nous refusons de nous demander pourquoi des jeunes Français éprouvent une telle haine pour leur pays qu'ils se retournent contre lui, d'autres suivront. »

    Les causes sont multiples : à l'échec de la transmission et l'impossibilité d'ouvrir certains débats déjà évoquées, Natacha Polony ajoute la tentation du multiculturalisme, pourtant considéré par les dirigeants britanniques et allemands comme un échec, l'insuffisante mobilisation après certains événements comme les meurtres de Mohamed Merah, la question du financement des mosquées qui permet à certains pays étrangers de diffuser un islam rigoriste, la désinformation, celle par exemple qui ne retrace pas fidèlement la genèse des caricatures après Charlie, ou encore la politique internationale désastreuse des pays occidentaux, et consistant le plus souvent en un simple « alignement fantomatique sur la diplomatie américaine » faisant fi du conflit entre chiites et sunnites, et qui a contribué, elle aussi, à créer un monstre.

    Alors, quelles solutions ? C'est la question à laquelle la troisième et dernière partie du livre se propose de répondre. Si toutes les solutions envisagées ne semblent pas toujours convaincantes-on peut s'interroger par exemple sur l'efficacité de la légalisation du cannabis-, le livre a l'immense mérite de ne pas sombrer dans le fatalisme auquel nous invite très souvent l'Europe.

    Pour la journaliste, la première chose à changer, c'est de refaire exister la France dans l'espace européen, en refusant de renoncer à ses spécificités : « Tous les discours […] sur les valeurs de la France […] ne sont que du vent pour qui ne se préoccupe pas d'abord de restaurer la mémoiré vivante de la France à travers ses paysans, ses artisans et ses petites entreprises. »

    L'autre urgence, c'est de réaffirmer les spécificités françaises à l'intérieur même de ses frontières. C'est rappeler, comme nous l'avons dit tout à l'heure, que la France a une histoire, une géographie, une littérature, mais c'est rappeler également que la France, c'est aussi une certaine idée du rapport entre les sexes, avec la galanterie, une certaine idée de la fraternité, à laquelle Victor Hugo a contribué, c'est la richesse de ses langues régionales, c'est une devise qui ne ressemble à aucune autre, fondée sur des concepts philosophiques, et qui est une sorte de « traduction en trois mots des œuvres de Montesquieu, de Voltaire, de Diderot et de Rousseau. » La France, c'est aussi « La République, c'est cette idée qu'il ne saurait y avoir un souverain pour guider les hommes. C'est l'idée que tout homme est son propre souverain, dans le cadre d'une Nation elle-même souveraine. »

    Ce n'est qu'à ce prix, selon la journaliste, que le citoyen francais pourra retrouver une identité et un attachement à son pays car « on ne saurait aimer ce qu'on ne connaît pas ». Ce n'est qu'à ce prix qu'il parviendra à se situer « entre [l'] individu autoconstruit et le célèbre « l'individu n'est rien, la société est tout » de Maurice Barrès ». Ce n'est qu'à ce prix que la France pourra redécouvrir, selon les mots d'Ernest Renan qu'« Une Nation est une âme, un principe spirituel.[...] », qu'elle est « la possession en commun d'un riche legs de souvenirs » et « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis ».

    C'est ainsi que l'on pourra proposer à nos enfants un autre modèle que « le fantasme d'un individu libre et détaché de tout lien dans une entité neutre régie par le droit et le marché »

    Souvent accusée de déclinisme, Natacha Polony signe un livre d'espoir et veut croire que tout est encore possible car « la grandeur est une prophétie autoréalisatrice » et pour y atteindre, « il suffit [d'] un prophète ». En redéfinissant des termes qui alimentent la confusion -la mondialisation n'est pas nécessairement la globalisation, le déclinisme c'est de penser que la France est l'éternelle coupable, condamnée à battre sa coulpe à chaque nouvel événement en se demandant quel est son péché originel- elle ouvre la voie à une France rassemblée et refusant la fatalité. Elle croit en la France passée, présente et même à venir, sous certaines conditions. Et rappelle que la nostalgie n'est pas un crime et qu'elle n'empêche nullement de se tourner vers l'avenir.

    Certes, elle aurait aimé que « cette attaque contre les valeurs humaines […] nous [incite] collectivement à comprendre qu'affronter nos contradictions et nos reniements est désormais vital » et « nous [force] à regarder en face la nature du totalitarisme islamiste » mais elle n'était pas suffisamment naïve pour penser que tout s'arrangerait comme par miracle : « Il y aura de nouveaux attentats et chacun d'eux ébranlera encore un peu plus l'édifice chancelant qu'est la France. »

    A l'heure où les politiques ne sont que des gestionnaires de l'économie à la petite semaine, guettant telle Anne dans La Barbe Bleue, l'arrivée de la croissance, et à l'heure où beaucoup d'entre eux ne sont capables que de la réduire à des concepts comme « l'égalité », « la capacité d'intégration de la différence » ou « le multiculturalisme », Natacha Polony tente de redonner à la France un peu de sa grandeur et de son identité afin de proposer une vision pour le futur.

     

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  •  Si un jour vous avez du temps à perdre, je vous conseille vivement d'aller lire les « Qui sommes-nous ? » ou les plus sobres « Présentation(s) » des maisons d'édition. Vous constaterez que le discours est toujours le même : seule la qualité de l'ouvrage compte, peu importe le thème, la maison d'édition se vante d'être sélective mais avant tout éclectique. .

    Pourtant, la réponse à l'envoi d'un manuscrit à telle ou telle maison est aussi invariablement la même : «Malgré ses qualités, votre ouvrage ne correspond pas à notre ligne éditoriale ». Il y aurait donc en fin de compte une ligne éditoriale ? Mais alors quelle est-elle ?

    Est-ce simplement par politesse ou délicatesse que le comité de lecture ne nous donne pas les vraies raisons de son refus ? Je serais tenté de répondre par l'affirmative s'il ne m'était pas arrivé de recevoir une lettre dithyrambique d'une maison d'édition qui m'expliquait que malgré tout, elle n'était pas en mesure de me publier, la faute à la ligne éditoriale...

    La ligne éditoriale, c'est un peu comme la ligne d'horizon, on sait qu'elle existe mais on ne la voit jamais. Plus on essaye de s'en approcher, plus elle nous fuit. Je crois que je préfèrerais encore qu'on me dise : « votre livre, dont la lourdeur du style n'a d'égale que sa prétention pseudo-intellectuelle, n'est pas sans rappeler les heures les plus sombres de ce que certains osent nommer la littérature de Bernard Werber. »

    Mais je me rends bien compte qu'une telle réponse ne me suffirait pas non plus. D'abord parce que Bernard Werber, lui, est publié. Ensuite, parce qu'il suffit d'avoir déjà feuilleté quelques incipits dans n'importe quelle librairie ou supérette pour être définitivement convaincu que la qualité littéraire d'un ouvrage et sa publication sont deux choses complètement distinctes (sauf à considérer que l'usage systématique du présent de narration et des ruptures syntaxiques, comme le font presque tous les auteurs contemporains de manière souvent comique et parfois grotesque, est révélateur de littérature.)

    Dans ce cas, me direz-vous si vous avez eu le courage de lire jusque-là, à quoi bon faire des pieds et surtout des mains pour être publié si les maisons d'édition ne vous trouvent pas à la page et si les éditeurs sont un peu durs de la feuille ? A quoi bon gaspiller des ramettes si c'est pour continuer à ramer ? Et de toute façon, gavés qu'ils sont de manuscrits, que leur importe qu'un minus crie ?

    J'aurais en effet de bonnes raisons d'arrêter. Et de me consoler en me disant qu' avec tous les manuscrits que j'ai envoyés et les refus que j'ai essuyés, je peux me vanter d'avoir déjà à mon actif un nombre non négligeable de lecteurs. Je pourrais me dire également que l'important est que les éditeurs fassent bien leur travail et qu'ils aient permis de faire découvrir de vraies plumes comme La Fouine ou Christine Deviers-Joncour.

    Et bien non, j'ai beau savoir tout ça, chaque fois qu'on me dit que je ne suis pas dans la ligne, j'ai l'impression qu'on me coupe les segments et qu'on me laisse à la marge. Et l'absence de publication reste dans mon esprit une idée toujours aussi difficile à imprimer. Est-ce parce que la ligne est par définition illimitée que j'éprouve toutes les peines du monde à y mettre un terme ? Je ne sais pas.

    Quand je vois l'autobiographie de Maître Gim's sortie il y a peu chez Fayard, je ne peux m'empêcher d'admirer la propension qu'ont certaines célébrités à saisir d'emblée cette ligne éditoriale que j'essaie vainement d'appréhender depuis maintenant cinq ans. Et il faudrait avoir l'esprit très mal tourné pour penser que certains sont édités uniquement par des maisons d'édition que la pub lie. Alors je décide de repartir à la pêche à la ligne dans l'espoir qu'un éditeur morde à l'hameçon.

    Mais que faire quand les lettres qu'on envoie aux maisons d'édition concernées pour en savoir un peu plus restent toujours sans réponse ?

    « Couche avec l'éditeur » me conseille-t-on parfois. « Avec plaisir, réponds-je, encore faudrait-il savoir qui c'est ». Or il est impossible, dans les maisons d'édition, de tomber sur quelqu'un d'autre que les standardistes. Coucher avec l'éditeur, ce serait donc déjà sauter une ligne, quant à la standardiste, que lui dire ? Déjà qu'il est difficile de ne pas passer pour un original auprès des standards, que pourront-ils me dire sur la ligne sinon qu'elle est encombrée ?

    Reste l'option « coucher avec la standardiste ». Certes, elle présente quelques avantages mais pour ce qui est de vous faire atteindre votre but, c'est une autre histoire. Car si l'amour du bigo n'en fait pas pour autant des saintes, il ne faut pas confondre maniement du combiné et art de la combine. Ce n'est pas parce qu'elle est souvent au bout du fil qu'elle va nécessairement vous aider à le trouver. Et il y a de fortes chances pour que vous l'effeuilliez sans qu'on s'intéresse à une seule de vos pages. Même quand la standardiste ouvre les jambes et que vous la faîtes sortir de ses gonds, elle n'ouvre que rarement les portes.

    Et puis toutes ces démarches présentent un autre risque, non négligeable : celui d'importuner le monde de l'édition au risque de devenir un pestiféré dans le milieu.

    En ce cas, on a tout intérêt à rester discret et attendre son heure. Car à tout prendre, mieux vaut une non-édition qu'une malédiction.

     



     

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  • Hier matin, 10 heures, comme souvent, je pars me promener pour écrire et je m'arrête, après quelques centaines de mètres, au bord de la rivière. Une demi-heure plus tard, un cycliste passe et, intrigué me demande, : « Vous faites quoi ? ». Adorant par nature les questions intrusives des inconnus qui ne se mêlent pas de leur trognon, je réponds poliment : « j'écris », ce à quoi il s'exclame, sans s'arrêter et effaré : « vous écrivez !? ».

    Ce n'est que quelques heures plus tard que j'ai repensé à ce bref échange. Ce qui a surpris l'homme, ce n'est pas que j'écrive, tout le monde écrit, toute la journée. Et nul doute que si j'avais tapoté sur un portable, il ne m'aurait même pas adressé la parole. Non, ce qui a fasciné cet homme, c'est que j'aie pu utiliser un papier et un stylo en 2015.

    Sa réaction est somme toute assez logique. Qui utilise encore ces outils d'arrière-garde ? Les écrivains eux-mêmes ne reconnaissent-ils pas écrire depuis leur ordinateur ?

    Soit, mais n'y aurait-il pas une corrélation entre la médiocrité des productions actuelles et le renoncement au papier et au stylo ? Le refus des feuilles ne garantit pas du torchon. La surabondance des romans autobiographiques ou d'actualité ne viendrait-t-elle pas de la tendance des écrivains à rester chez eux et à surfer sur le web en espérant prendre la vague de l'inspiration ? L'abandon de la pure fiction n'est-elle pas favorisée par la difficulté de faire prendre l'air à son ordinateur de compagnie? Il faudrait être bien naïf pour croire qu'en jetant l'encre, on pourra aisément voguer vers de nouveaux horizons.

    Mais il y a autre chose. Le traitement de texte favorise les corrections et incite à écrire les premières phrases produites par le cerveau. Le papier et le stylo, au contraire, par la menace des ratures rendant le texte illisible, invitent l'auteur à laisser les phrases mûrir avant de les coucher sur papier. Or, une phrase qui a eu le temps de mûrir et une phrase corrigée ne sont pas équivalentes. Tout comme il est plus aisé de corriger une phrase mûre qu'une phrase brute. En littérature, ne pas faire de ratures ne suffit pas à éviter les taches. Enfin, ce n'est sans doute pas pour rien que Maurice Blanchot insistait sur le fait que littérature devait se lire « lis tes ratures ». Or, l'ordinateur tend à les effacer.

    Dernier point, l'agitation liée à l'usage de l'ordinateur est peu propice à la lecture. Or, la littérature se nourrit d'elle-même. Si les auteurs ne lisent plus les grand textes, ils ont peu de chances d'en écrire.

    Je parle ici de vraie littérature, pas d'écriture journalistique ou de chroniques pour lesquelles l'ordinateur peut très bien faire l'affaire.

    Bref, je ne saurais trop conseiller à Bernard Werber, s'il a des fourmis dans les doigts, de s'aérer plus souvent. Quant à Christine Angot, si elle voulait bien nous laisser ne serait-ce qu'une semaine de vacances, c'est toute la littérature qui lui en serait éternellement reconnaissante. On aurait pourtant tort de croire que réutiliser le stylo va leur ouvrir un buvard. Pour écrire une œuvre médiocre, l'ordinateur, c'est un vrai gain de temps. A quoi peut bien servir un stylo quand on n'a pas de plume ?

     

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    « Dans la journée, je sortis acheter cinq cartouches de cigarettes, puis je retrouvai la carte du traiteur libanais, et deux semaines plus tard ma préface était bouclée. »

    Parfois, il semble ne pas y avoir de rapport entre certaines propositions de Houellebecq dans Soumission. Pourtant, non seulement il y en a un mais en outre il est souvent extrêmement révélateur. Ici l'association de bons repas et de tabac est pour le narrateur comme pour Huysmans, la forme de bonheur la plus accessible et la plus pérenne mais également la seule propice à l'inspiration.

    Si Houellebecq aime évoquer la société moderne, il tombe rarement dans le travers de nombreux auteurs contemporains qui ne la citent que pour fabriquer avec le lecteur une complicité factice, qui ne repose que sur le clin d'oeil de l'identification immédiate, vision extrêmement réductrice de la littérature envisagée comme un sketch ou une chanson qui nous parle.

    Quand Olivier Adam, dans le premier chapitre de Je vais bien, ne t'en fais pas, écrit : « Bonjour Madame. Six œufs, un paquet de pommes de terre à frites, beurre Elle & Vire, trois bouteilles de Coca, huile tournesol, trois paquets de spaghettis Panzani, un paquet de riz Uncle Ben's, un rosbif, un grand pot de crème fraîche Bridélice, trois Yabon grand format, deux Danette familiales, à la vanille, trois riz au lait La Laitière, quatre paquets de chips Vico, un saucisson Justin Bridou. », on est certes fasciné de constater la facilité avec laquelle l'auteur « fait de la littérature » mais on se demande parfois si de telles listes (car ce n'est pas la seule dans le « roman ») étaient bien indispensables pour justifier le travail de caissière de la protagoniste.

    Chez Houellebecq, au contraire, lorsqu'il évoque, par exemple les plats à micro-ondes, c'est pour ouvrir, non sans humour, sur une réflexion sur la condition humaine : « aucune malveillance ne pouvait s'y lire, et l'impression de participer à une expérience collective décevante, mais égalitaire, pouvait ouvrir le chemin d'une résignation partielle. »

    De même, il y a toujours chez lui une critique sous-jacente de la société, ou de la petitesse de l'homme mais celle-ci est d'autant plus appréciable qu'elle est souvent évoquée sans connecteurs logiques, par la simple juxtaposition de propositions dont le lecteur est invité à rechercher le lien et qui rappellent toujours à l'homme sa propre vanité et son éternel égoïsme, qu'il s'agisse de littérature : « Des phrases de Huysmans sur le Moyen âge me revenaient vaguement en mémoire, cet armagnac était absolument délicieux. », d'amour : « L'image de Myriam sur mon lit, en tee-shirt, le dernier matin, l'image de ses petites fesses rondes me traversa brièvement l'esprit ; je me resservis un grand verre de Cahors. », d'amitié : « J'étais ravi en tout cas d'être invité chez lui le lendemain, on pouvait déjà être certain que le porto serait de bonne qualité, et j'avais assez confiance pour le repas aussi. », « je tombai sur Marie-Françoise, qui émit l'idée de déjeuner ensemble. Ma journée serait, décidément, sociale. » ou de relations entre collègues : En dessous de sa veste prince-de-galles, il portait un polo ; il était bienveillant, sans illusions et sagace ; il devait, très vraisemblablement, être abonné à Historia »

    Ainsi, si le narrateur n'épargne pas la société contemporaine : « Rien que le mot d'humanisme me donnait légèrement envie de vomir, mais c'était peut-être les pâtés chauds, aussi, j'avais abusé », elle est bien moins sa cible privilégiée que l'homme lui-même.

    Il met en avant les limites du système de façon tout à fait détachée, sans aucune indignation, sans dénonciation et la misogynie avec laquelle c'est exprimé nuance la critique puisque celui qui la fait ne vaut pas mieux que le système dont il cerne les limites.

    Et l'on aurait bien tort de croire, malgré les piques récurrentes que ce dernier envoie aux autres personnages du livre, que le narrateur pût se croire au-dessus de la mêlée.

    Certes, au cours de son dialogue avec Godefroy, son collègue, il déclare : « On peut laisser parler les gens assez longtemps, ils sont toujours intéressés par leur propre discours mais il faut quand même relancer de temps en temps un minimum. » Certes, il n'épargne pas Bastien Lacoue, qui a toujours, selon lui, « l'air satisfait de lui-même, du monde et de la position qu'il y tenait. ». Certes, il déclare, non sans ironie, à propos d'un autre collègue, que « L'enseignement en lui-même, impliquant malgré tout une certaine forme de contact avec des êtres humains de nature variée, l'avait toujours terrifié. » ou au cours du dialogue avec un autre personnage : « Il se tut, j'eus nettement l'impression qu'il avait épuisé un premier stock d'arguments. »

    Pourtant, le narrateur s'inclut très souvent dans la critique de l'homme. Les accents voltairiens de Houellebecq tant dans le maniement de l'ironie que dans le constat des limites qui entourent une société sans Dieu n'en ont pas la violence ni la même dimension satirique. La critique de Voltaire était plus acide et plus dénonciatrice. Celle de Houellebecq est plus détachée et l'ironie n'épargne pas le personnage principal, derrière lequel on devine parfois l'auteur, tout au moins certaines de ses lubies.

    Son angoisse par rapport à la mort tout d'abord : « En attendant la Mort, il me restait le journal des dix-neuvièmistes », « Devais-je alors, mourir ? Cela me paraissait une décision prématurée. »

    La vanité de la vie ensuite, dès lors qu'elle s'écarte de l'amour, souvent mise en valeur par des énumérations qui sont de fausses gradations  : « Je me demandais à quoi je pourrais m'intéresser moi-même si ma sortie de la vie amoureuse se confirmait, je pourrais prendre des cours d'oenologie peut-être ou collectionner les modèles réduits d'avion. », « Et je n'avais toujours pas envie de faire un enfant, ni de partager les tâches ni d'acheter un porte-bébé kangourou ».

    Ou encore notre naturel égocentrisme qui nous fait nous estimer important : « Mais les mots de rapports de force en imposent toujours dans une conversation, ça fait lecteur de Clausewitz et de Sun Tzu, et puis j'étais assez content de barre symbolique aussi, en tout cas marie-Françoise hocha la tête comme si je venais d'exprimer une idée. » et qui biaisent nos rapports à l'autre, pour qui on peut ressentir une forme d'affection, mais toujours mise en doute (ici par la présence d'un double modalisateur et de l'imparfait) : « C'était un de mes camarades doctorants, on peut même dire que nous avions des relations presque amicales. » ou exprimée de manière négative : « J'aimais bien cette divertissante vieille peste, assoiffée de ragots à l'extrême. »

    Enfin, on ne peut évoquer l'humour de Houellebecq sans parler de la misère sexuelle. Eternelle source d'inspiration pour le romancier, la sexualité est, dans Soumission, la véritable religion du narrateur puisque sa verge « [intercède] en faveur de Myriam » et puisqu'elle est la seule qui ne l'a jamais trahi : « Modeste mais robuste, elle m'avait toujours fidèlement servi. », au point que « chacune [des] fellations [de Myriam] aurait suffi à justifier la vie d'un homme ». L'importance que revêt la vie sexuelle du narrateur ou son absence est souvent propice au comique, comme lorsque celui-ci a l'impression qu'il arrive au bout de sa vie sexuelle mais qu'il « [change] d'avis en cours d'année, sous l'influence de facteurs externes et très anecdotiques-en général, une jupe courte. »

    La réponse qu'il obtient de façon définitive à cette question constitue sans doute l'un des passages les plus réussis de la littérature sur le sujet :

    « Etais-je, vieillissant, victime d'une sorte d'andropause ? Cela aurait pu se soutenir et je décidai pour en avoir le cœur net de passer mes soirées sur Youporn [...] Le résultat fut, d'entrée de jeu, extrêmement rassurant.[...] j'étais, cela se confirma dès les premières minutes, un homme d'une normalité absolue.

    […] Un homme (jeune ? vieux ? les deux versions existaient) laissait sottement dormir son pénis au fond d'un caleçon ou d'un short. Deux jeunes femmes de race variable s'avisaient de cette incongruité, et n'avaient dès lors de cesse de libérer son organe de son abri temporaire. Elles lui prodiguaient pour l'enivrer les plus affolantes agaceries, le tout étant perpétré dans un esprit d'amitié et de complicité féminines.[...] L'homme, anéanti par cette assomption, ne prononçait que de faibles paroles ; épouvantablement faibles chez les Français (« Oh putain ! », « Oh putain, je jouis ! », voilà à peu près ce qu'on pouvait attendre d'un peuple régicide), plus belles et plus intenses chez les Américains. »

    En conlusion, Houellebecq, dans son dernier roman, ne se contente pas de nous présenter un personnage principal qui tente désespérément de re-rencontrer Huysmans ou à défaut, de règler sa vie sur celui-ci, mais également un protagoniste qui serait, du point de vue de l'humour, son double, humour qui « présente le cas unique d'un humour généreux, qui donne au lecteur un coup d'avance, qui invite le lecteur à se moquer par avance de l'auteur. […] Et cette générosité, j'en avais profité mieux que personne, recevant mes rations de céleri rémoulade ou de purée cabillaud, dans les casiers de ce plateau métallique d'hôpital que le restaurant universitaire Bullier délivrait à ses infortunés usagers. »

    Humour qui rappelle sans cesse au lecteur sa propre petitesse tout en tentant d'y échapper quelques instants grâce au rire, seule arme efficace contre la violence :

    « Je ne connaissais à vrai dire à peu près rien du Sud-Ouest, sinon que c'est une région où l'on mange du confit de canard ; et le confit de canard me paraissait peu compatible avec la guerre civile […] » 

     

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    « J'aurais probablement dû parler de cela, de cet étrange pouvoir de la littérature, je décidai pourtant de continuer à parler politique. »

    Ce commentaire du narrateur au milieu d'une conversation pourrait parfaitement résumer le roman de Houellebecq qui a beaucoup fait parler par son soi-disant sujet principal et qui n'est pourtant jamais aussi bon que lorsqu'il s'en écarte et qu'il se consacre, par exemple, à la littérature.

    A ce titre, Soumission est moins un roman d'anticipation qu'une réflexion sur le présent et sur certaines tendances de la société, ce que Jean-Laurent Cassely a très bien compris, lorsqu'il déclare sur le site slate.fr :  « peu de situations sont plausibles dans ce roman et ni la politique ni la psychologie féminine n’ont jamais été les points forts de l'auteur, il faut bien le reconnaître! C’est pourquoi Soumission est une fiction qui ne dit rien de l’avenir politique de la France, mais beaucoup de sa situation actuelle. »

    Mais ce qu'il aurait pu ajouter, c'est que le roman de Houellebecq est davantage une réflexion sur ce qui fonde et ce qui défait une civilisation ainsi que l'histoire d'une triple quête, amoureuse, littéraire et spirituelle, quête qui constitue également un refuge contre la décadence de la société mais qui paraît bien souvent inaccessible pour le narrateur.

    La plupart des critiques ont pourtant choisi de parler quasi exclusivement de l'aspect politique du livre, louant ou blâmant le choix de l'auteur d'imaginer l'arrivée au pouvoir en France d'un parti musulman en 2022, les uns oubliant que l'obligation de conversion à l'Islam pour les professeurs, l'abandon quasi général du travail pour les femmes ou l'interdiction de porter des jupes étaient peut-être des règles acceptées un peu trop facilement par la population, les autres occultant volontairement toutes les qualités du parti musulman pour faire de ce roman un livre raciste ou islamophobe.

    Il y aurait évidemment là matière à débat. Mais bien que le narrateur délègue souvent la parole, dans le domaine politique, à ses interlocuteurs, il évite rarement l'écueil du monologue qui tourne à l'exposé, exposé qui a bien du mal à dépasser la simple thèse et à ne pas détonner avec le reste de l'oeuvre, et qui confirme que dès que Houellebecq se rapproche trop de l'essai, il s'éloigne du coup de maître.

    A l'inverse, le roman se révèle beaucoup plus intéressant quand il évite les arguments politiques, comme lorsque le « problème de micro-ondes » du narrateur l'oblige à « terminer [ses] packages indiens à la poêle, et lui fait « [rater] une grande partie des arguments échangés", que quand il les décortique.

    Certes, les romans d'anticipation cherchent rarement à donner une image positive du futur qu'ils mettent en scène et la valeur d'un tel roman ne se mesure pas uniquement, loin s'en faut, à sa capacité à lire dans l'avenir.

    Toutefois, admettons que le point fort du roman de Houellebecq, comme nous le disions tout à l'heure, est moins le récit de l'avenir que celui du présent de nos sociétés.

    L'arrivée au pouvoir de La Fraternité musulmane n'est en réalité pas le sujet central du livre, elle n'est qu'un prétexte à parler du déclin d'une civilisation dans une société résignée et fataliste, pour qui « il arriverait « ce qui doit arriver » ».

    L'une des phrases de l’un des personnages ne laisse aucun doute à ce sujet : « L'Europe avait déjà accompli son suicide. » « La Révolution française, la république, la Patrie... oui ça a pu donner lieu à quelque chose, quelque chose qui a duré un peu plus d'un siècle. La chrétienté médiévale, elle, a duré plus d'un millénaire. », ajoute-t-il un peu plus loin, confirmant que l'on arrrive au bout d'un cycle.

    Si beaucoup de personnages de Houellebecq, à commencer par le narrateur lui-même, semblent résignés, en particulier dans le milieu universitaire, c'est aussi parce que « C'est pour des questions métaphysiques que les hommes se battent, certainement pas pour des points de croissance, ni pour le partage de territoires de chasse ». La fin d'une civilisation n'est pas seulement due, dans Soumission aux limites du modèle capitaliste européen, mais également à l'absence de Dieu.

    C'est ce constat qui donne au roman tout son intérêt, celui d'une société et d'un personnage à la recherche d'identité et de sens.

    Et tout le talent de Houellebecq est de structurer tout son roman autour d'un système d'opposition et d'échos entre la civilisation passée et celle qui se met en place, entre tout ce qui l'a fondée et ce qui va la remplacer ou plutôt ce qui l'a déjà, doucement, imperceptiblement, remplacée.

    A ce titre, le fait que l'action se passe principalement à la Sorbonne nouvelle, dont le nom évoque l'histoire mais dont la réalité est un bâtiment moderne d'une affreuse laideur et sans passé, est loin d'être anodin tout comme le fait que le collègue du personnage principal se nomme Godefroy Lempereur mais qu'il porte « un t-shirt du P.S.G » et « des baskets d'un rouge vif ».

    De même, il faudrait être naïf pour ne pas voir dans l'escapade du narrateur pendant le deuxième tour des élections à Martel, une sorte de retour aux sources de la civilisation qui décline et qui s'apprête à disparaître ainsi qu'une forme de résistance par procuration aux changements qui se dessinent.

    La visite de l'Eglise Saint-Maur, « construite pour résister aux assauts des infidèles, comme il y en avait beaucoup dans la région » n'est pas uniquement décorative, tout comme la mention que « La région était habitée depuis les temps les plus reculés de la préhistoire » et que « l'homme de Cro-Magnon en avait progressivement chassé l'homme de Néandertal, qui s'était replié jusqu'en Espagne avant de disparaître. »

    Ce passage fait d'ailleurs écho à la description, pendant les émeutes de « la statue du maréchal Moncey, imposante et noire » qui se détachait au milieu de l'incendie », maréchal qui « s'est illustré en défendant la barrière de Clichy contre les envahisseurs russes en 1814 » rappelle le narrateur.

    Cette dimension symbolique se retrouve partout dans le roman, aussi bien quand le personnage principal se rend chez le Président de l'Université, dont le domicile jouxte les Arènes de Lutèce et plongent le narrateur dans une tentative de transposition : « il était étonnant de penser que des combats de gladiateurs et de fauves avaient réellement eu lieu ici, quelque deux mille ans auparavant. » que quand le narrateur et Lempereur s'aperçoivent, en se rendant chez ce dernier qu'ils se « retrouv[ent] exactement à l'époque de [leurs] écrivains préférés », la littérature devenant ici une sorte de double du refuge historique, quelques instants avant que la peinture prenne le relais : « Le Bouguereau au dessus de la cheminée »[...] datait d'un peu plus d'un siècle et ça me paraissait si loin […] Lentement, progressivement, on pouvait essayer de se mettre dans la peau d'un de ces bourgeois du XIXème siècle […] mais c'était une remontée dans le temps laborieuse, difficile. 

    Le narrateur, cet homme qui « n'avai[t] jamais vraiment visité ce pays, dont [il] étai[t], de manière un peu théorique, citoyen » semble loin de choisir ses destinations au hasard, lui qui se rend ensuite à Rocamadour, dont le pélerinage est décrit comme « un des plus fameux de la chrétienté » par son ami travaillant pour le renseignement, qui ajoute, comme pour achever de le convaincre : « vous pourrez vraiment mesurer à quel point la chrétienté médiévale était une grande civilisation. »

    Le choix de Myriam, personnage présent à la fois dans la Bible et dans le Coran comme la sœur d'Aaron, comme prénom de la petite amie du narrateur, n'est sans doute pas, lui non plus, anodin.

    Le vide que ressent le personnage principal n'est pas seulement le résultat d'une vie amoureuse ratée et d'une vie familiale sans amour et très solitaire qui lui fait dire, quand il va pour la première fois chez Myriam, sa petite amie : « c'était une tribu, une tribu familiale soudée ; et par rapport à tout ce que j'avais connu, c'était tellement inouï que j'avais eu beaucoup de mal à m'empêcher d'éclater en sanglots. »

    Certes, il y a chez ce quadragénaire un peu misogyne une aspiration amoureuse que ses relations passagères avec des étudiantes ou des escorts ne comblent jamais et qui rendent toutes les actions du quotidien pesantes : « Un couple est un monde, un monde autonome et clos qui se déplace au milieu d'un monde plus vaste, sans en être réellement atteint : solitaire, j'étais traversé de failles, et il me fallut un certain courage pour, rangeant la feuille d'informations dans une poche de mon blouson, ressortir visiter le village. »

    Mais cette recherche, chez cet homme qui « n'éprouvai[t] aucune satisfaction à [s]e retrouver au milieu de [s]es semblables » n'est que la manifestation d'une quête plus profonde, qui lui fait dire, en réponse à une réflexion de Myriam, la petite amie qu'il aura le plus aimée : « Il n'y a pas d'Israël pour moi. »

    On le sent désolé d' « essay[er] sans grand succès de [s]'abîmer dans la contemplation du paysage » et convaincu lorsque son interlocuteur lui souffle qu' « à elle seule, l'idée de la patrie ne suffit pas, elle doit être reliée à quelque chose de plus fort. »

    Mais la quête spirituelle du narrateur qui, « pour la première fois de [s]a vie » se met à « penser à Dieu, à envisager sérieusement l'idée d'une espèce de Créateur de l'Univers » et qui ne semble à aucun moment être l'aboutissement d'un long cheminement mais à la fois la cause et la conséquence du déclin de la civilisation, est, d'emblée, vouée à l'échec.

    Lui qui n'a jusque ici eu « l'impression d'être éternel » que pendant ses ébats avec Myriam et dont seule la bite « [intercède] en faveur de Myriam », lui qui n'arrive pas à lire En route de Huysmans car il constate que « La fibre spirituelle [est] décidément presque inexistante en [lui] » a beau faire tous les efforts pour que « [s]on individualité se disso[lve], au fil de [s]es rêveries de plus en plus prolongées devant la vierge de Rocamadour », il a beau comprendre que « bien autre chose se jou[e], dans cette statue sévère, que l'attachement à une patrie, à une terre, ou que la célébration du courage viril du soldat », il échoue dans sa tentative de foi :

    « mais peu à peu, je sentais que je perdais le contact, qu'elle s'éloignait dans l'espace et dans les siècles tandis que je me tassais sur mon banc, ratatiné, restreint. Au bout d'une demi-heure, je me relevai, dfinitivement déserté par l'Esprit (majuscule), réduit à mon corps endommagé, périssable, et je redescendis tristement les marches en redescendant du parking. »

    Sans surprise, son séjour à l'abbaye se solde lui aussi par un échec que le narrateur évoque non sans ironie en employant une expression qui n'est pas sans rappeler les Evangiles

    « Au matin du troisième jour, je compris qu'il fallait que je parte, ce séjour ne pouvait être qu'un échec. »

    Soumission est aussi le récit d'une conversion ratée au christianisme, d'une conversion ratée tour court même, comme la conclusion du roman le mettra au jour.

    Car la conversion finale du narrateur est l'effet, non pas d'une soumission-il n'y a ni pression irrésistible exercée, ni menaces, ni besoin financier-mais d'un triple renoncement : amoureux, intellectuel, spirituel. Seul l'aspect utilitaire de la femme envisagé à travers la polygamie, semble intéresser le lecteur.

    Dieu n'est jamais évoqué lors de la cérémonie de conversion, il n'y a aucune rencontre spirituelle.

    Le narrateur n'a rien construit ou rencontré de suffisamment précieux pour s'opposer au nouveau modèle qu'on lui propose. Tout le dernier chapitre est d'ailleurs au conditionnel et la dernière phrase « je n'aurais rien à regretter » traduit bien le « faute de mieux » qui n'est plus seulement un réflexe de citoyen s'apprêtant à voter au moment des présidentielles, mais qui est devenu un mode de vie.

    Pour autant, on aurait tort de penser que le narrateur renie tout. Il reste fidèle jusqu'au bout, à Huysmans (son sujet universitaire), car selon lui, « le seul vrai sujet de Huysmans était le bonheur bourgeois, un bonheur bourgeois douloureusement inaccessible au célibataire, et qui n'était même pas celui de la haute-bourgeoisie, la cuisine célébrée dans Là-bas était plutôt ce qu'on aurait pu appeler une honnête cuisine de ménage. »

    Ainsi, sa conversion finale, c'est un peu la conversion au bonheur bourgeois du XIXème siècle que l'Islam, par la soumission de la femme, permet de nouveau.

    Si c'est une fausse conversion à Dieu, elle est en revanche la conversion ultime et définitive du narrateur à la seule personne avec qui il aura partagé sa vie : Huysmans. C'est une forme de conversion littéraire et d'aboutissement intellectuel.

    Etait-ce le lieu d’une polémique, vraiment ?

     

     

     

     

     

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