• Le langage du footballeur

    Le footballeur parle une langue inconnue à la plupart des non-initiés, une langue faite de poésie et d’innocence mais qui a ses propres codes.

    Le footballeur, souvent doté de connaissances grammaticales au-dessus de la moyenne, ne répond jamais à une interrogation totale simplement par oui ou non. Non seulement, il fait toujours une phrase complète mais il privilégie systématiquement la subordonnée complétive, ce qui a le double mérite d’éviter de contredire le journaliste et d’éviter à ce dernier de chercher trop de questions à poser, ce dont il est bien incapable. Exemple: le journaliste: « Aujourd'hui, on peut dire que vous avez fait un bon match... ». Le footballeur: « oui, je crois qu'on a fait un bon match »

    Mais si le footballeur utilise abondamment la première personne pour penser ou pour croire, il lui est en revanche totalement impossible de parler de sa prestation personnelle tant il se sent appartenir à un groupe indivisible. Ainsi, lorsque le journaliste essaiera de savoir ce qu'a pensé le joueur de sa belle performance, il se verra systématiquement répondre la même chose, toujours à l'aide de propositions complétives: « Non, je crois qu'on est onze joueurs sur le terrain (notez au passage la lucidité du joueur de football même après un match éprouvant de quatre-vingt dix minutes) et je crois que c'est toute l'équipe qui est à féliciter ». L'équipe devient un tout, une entité abstraite, il n'est plus question de féliciter les onze joueurs à commencer par lui mais l'équipe uniquement.

    En outre, Le footballeur n'a le droit d'utiliser que le dictionnaire du footballeur, à l'exclusion de tout autre. Ainsi, il ne dira jamais qu'il faut « se dépenser sans compter » ou « avoir de l'énergie à revendre » car ces expressions ne figurent pas dans le dictionnaire du footballeur mais il dira toujours qu'il faut « mouiller le maillot », « tout donner », « mettre le bleu de chauffe » ou encore « être à 100% » voire « 200% » ou « 300% » car le footballeur n'est pas seulement bon en français, il excelle également en mathématiques. D’ailleurs, grâce à ses connaissances en matière de statistiques, son pronostic sur l'issue de la rencontre est invariablement le même: « c'est du 50-50 ». De même, il ne dira jamais qu'il « souhaite » ou « désire » ou « aimerait » mais toujours qu'il « a à coeur de »; tout comme il n'emploiera jamais, « donc », « maintenant », « par conséquent », « du coup » mais toujours « à partir de là ». Il ne dira jamais non plus que le résultat est « inattendu » voire « inespéré » ou qu'il « va au delà de ses attentes », non, il dira toujours, rompu qu'il est aux transactions douteuses, que « si on [lui] avai[t] dit avant le match que le résultat serait celui-là, [il] aurai[t] signé tout de suite (sic) ».

                 Pour un footballeur, l’important, ce n’est pas la rose, ni de participer mais toujours les trois points. Le footballeur ne se projette pas, il prend toujours les matches « les uns après les autres », ce qui est plutôt signe d’une bonne santé mentale. Il ne commente jamais non plus la prestation de son adversaire lorsqu’elle est mauvaise car s'il gagne c'est que « l'équipe a bien joué et a su trouver les bons automatismes », jamais car l'équipe d'en face n'était pas dans un bon soir quand bien même elle aurait concédé deux pénalties et deux buts contre son camp.

    A l'inverse, il ne perd jamais car l'équipe d'en face a été meilleure mais toujours car il est « tombé sur une bonne équipe de… » (sous entendu, d’habitude, contre les autres, elle joue pas aussi bien) ou que son équipe « avait les jambes lourdes » ou « la tête ailleurs » ou « au match suivant » ou qu' « elle a manqué de concentration et fait des erreurs grossières » ou « était mal entrée dans la partie ».

    Ainsi, le discours d'un footballeur avant le match est toujours le même: « Je crois qu'on a à coeur de se racheter devant notre public. Je pense qu'il va falloir tout donner pendant quatre-vingt-dix minutes pour pas avoir de regrets et être à 200%, à partir de là, je crois qu'on peut espérer un résultat mais faut rester groupés et faire attention aux contres, c'est du 50-50 »

    A la mi-temps, il varie peu: « Je crois qu'on n'est pas bien entrés dans le match mais je pense qu'on a à coeur de se racheter en deuxième mi-temps, il va falloir tout donner devant notre public pendant quarante-cinq minutes, à partir de là, tout est encore possible »

    Et en général, ça se termine comme ça: « Je crois qu'on n'a pas de regrets à avoir parce qu'on a mouillé le maillot. Je voudrais pas critiquer l'arbitrage mais il y a des décisions que j'ai du mal à comprendre, il faut croire que certaines personnes n'acceptent pas que le club soit en ligue 1. Maintenant faut pas se chercher d'excuses, on était fatigués par l'enchaînement des matches tous les trois jours et on a fait des cadeaux à l'adversaire, on avait déjà un peu la tête au match de la semaine prochaine, à partir de là, on peut pas espérer gagner »

    Enfin, le langage du footballeur est, contrairement à celui de Jean-François Copé, parfois légèrement teinté de langue de bois. Il convient donc de traduire un certain nombre de ses réponses habituelles.

     sur les consignes tactiques du coach à la mi-temps:

    « il nous a dit de continuer comme ça, de ne pas nous désunir, ça va bien finir par passer », comprendre : « il nous a soufflé dans les bronches pendant un quart d’heure, on a intérêt à se bouger le cul si on veut pas se prendre une gueulante à la fin du match »

    sur les rumeurs de transfert :

    « Pour l’instant, j’ai complètement la tête à mon club », comprendre : « dès que je peux, je me casse »

    sur les problèmes de vestiaires

    « il n’y a aucun problème de vestiaire », comprendre « les douches et les toilettes sont propres mais l’ambiance est dégueulasse »

    Sur ses échecs dans les clubs où il est passé :

    « c'était une bonne expérience », comprendre « j’ai pris une bonne claque dans la gueule »

    « ça m’a beaucoup apporté », comprendre « j’ai pris un maximum de blé »

    « ça m’a fait mûrir », comprendre « comptez pas sur moi pour y retourner »

     

     

     

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  • Commentaires

    2
    Quamel Pusati Profil de Quamel Pusati
    Lundi 4 Juin 2012 à 23:46

    Oui mais il y a déjà un article entier sur Ribéry, je ne voulais pas en rajouter, surtout que l'article est long.

     

    1
    koninico
    Dimanche 3 Juin 2012 à 23:40

    Je m'attendais à une légère remarque des commentaires de Ribery sur son pays natal, au nord de la France, là où les gens parlent le consenguin euh pardon le chti's. Ribéry nous a encore donné du Bernard Pivot dans le texte, nous récitant les pages du petit Larousse avec une constante sidérante (et je pèse mes mots).

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