• L'analyse de texte pour les nuls

    « La neige au Sahara » d' Angun

    Le titre de ce poème d'amour ainsi que le lieu dans lequel se déroule l'action confrontent d'emblée le lecteur à un double problème. Le désert et la neige semblent être aussi peu l'un que l'autre propices à l'amour : le premier parce qu'il symbolise la solitude et la sécheresse et la deuxième parce qu'elle s'oppose à la représentation traditionnelle de l'amour comme un feu et symbolise plutôt la froideur, la rudesse et l'absence de sentiments.

    L'impossibilité apparente de faire cohabiter ces deux éléments renforce cette impression. Mais tout l'art d'Angun dans son poème consiste justement à dépasser cette impossibilité et à réconcilier l'irréconciliable par la force de son amour. « La neige au Sahara », c'est le symbole du miracle que seul l'amour peut accomplir.

    Dis-moi simplement si tu veux de moi La présence de l'impératif dès le premier vers indique que l'intimité entre la poétesse et le destinataire du poème est très forte. L'adverbe « simplement » semble sous-entendre que les explications du personnage n'ont pas toujours été très claires ni satisfaisantes. La poétesse donne d'emblée une idée de la puissance de son amour pour celui qui semble être son compagnon en se mettant en position d'objet de la phrase comme si elle se remettait en son pouvoir tandis que celui-ci est sujet, c'est lui le décisionnaire.
    Quand tu partiras là-bas. L'utilisation de la conjonction de subordination de temps à la place par exemple de l'hypothétique « si » laisse peu de place au doute : le départ du personnage semble d'ores et déjà acté, ce que confirme l'emploi d'un futur quasi prophétique. L'adverbe de lieu « là-bas », par le flou qu'il entretient sur la destination, marque la distance que prend la poétesse par rapport à cette décision, ce que confirme l'emploi des démonstratifs « ces « au vers 3 et « cet » au vers 4.
    Vers ces dunes sèches de sable et de vent. La poétesse insiste sur l'aridité du lieu et la rudesse du climat avec la triple expansion du nom « dunes » (un adjectif + deux compléments du nom) et l'allitération en « s »(« ces », « sèches », « sable »)
    Cet océan jaune et blanc. La métaphore liquide, en créant un contraste avec la sécheresse du climat, contraste renforcé par l'antithèse « sèches »/  « océan » annonce le danger qui guette le personnage. Mais cette métaphore insiste également sur l'immensité du lieu et annonce déjà le motif de la solitude, repris dans le distique. La double référence aux couleurs, en plus de l'impression de réel, met en valeur la monotonie du paysage : le désert n'est pas seulement une prison physique et mentale, c'est également une prison visuelle.

    Perdu dans le désert
    Tu es perdu dans le désert. La répétition, par l'écho qu'elle créé, semble montrer que le personnage ne peut se répondre qu'à lui-même dans ce lieu aride.

    Montre-moi ma place sur ces pierres flammes Le deuxième couplet commence lui aussi par un impératif mais celui-ci se fait plus pressant : il ne s'agit plus seulement d'intervenir par le discours, il convient également de confirmer l'importance de la poétesse par les actes. Cet impératif semble également sous-entendre que la requête de celle-ci n'a pas eu de réponse. L'apposition « pierres flammes » met en valeur l'extrême chaleur qui règne dans le désert. Les pierres ne sont pas seulement comme des flammes, ce sont des flammes en tant que telles. La rime signifiante flammes/âmes insiste sur la puissance de son amour.
    Pour que j'oublie les jours d'avant L'utilisation du déictique « avant » alors même que les personnages ne sont pas encore sur place en dit long sur le pouvoir de projection de la poétesse. La double proposition subordonnée circonstancielle de but montre d'ailleurs sa détermination et annonce le changement de rôle de celle-ci. Elle ne veut plus se contenter d'être spectatrice de la situation mais actrice de celle-ci, comme l'illustre le renversement : elle devient sujet (« j'oublie », « je protège ») tandis que son compagnon devient COD à travers la double référence à « ton corps » et « ton âme »
    Pour que je protège ton corps et ton âme La présence simultanée des pronoms de première personne et des déterminants possessifs de deuxième personne amorce le rapprochement des personnages, qui n'est plus soumis, comme dans le vers 1, à l'hypothèse.
    Des mirages que tu attends Le mot mirage, employé dans sa double acception, rappelle au personnage la différence cruelle entre les rêves et la réalité et sous-entend qu'il vit dans l'illusion.

    Perdu dans le désert. L'absence de répétition semble indiquer que même l'écho a disparu, le dialogue intérieur a lui aussi cessé d'exister, la solitude du personnage est totale.

    Si la poussière emporte tes rêves de lumière La personnification de la poussière rappelle doublement à l'homme sa petitesse, d'abord car celui-ci semble à sa merci (c'est elle qui fait l'action, l'homme la subit, bien que cette situation ne soit qu'une hypothèse) ensuite par sa dimension symbolique : c'est d'elle que l'homme a été tiré et c'est à elle qu'il retournera. (Genèse) . Le mot « rêves » fait écho au mot « mirage » et confirme les illusions du personnage.
    Je serai ta lune, ton repère Le « je » et le « tu » se mélangent par le truchement du verbe d'état qui associe le sujet à ses attributs. Ils annoncent le rapprochement définitif des personnages et le « nous » du vers suivant. La poétesse passe du statut de servante à celui de guide, un guide autant matériel (« ton repère ») que quasi-mystique (« ta lune »). L'emploi d'un futur prophétique témoigne une fois de plus de la détermination et de l'amour de celle-ci.
    Et si le soleil nous brûle, je prierai qui tu voudras. La double hypothétique (« si la poussière », « si le soleil ») confirme cette impression. Le pronom personnel de première personne « nous » apparaît pour la première fois, l'amour de la poétesse est tel qu'il a le pouvoir de reformer le couple. L'absence d'identification du dieu auquel elle adresse ses prières confirme que c'est davantage le personnage qui adresse les requêtes, par sa détermination, que le dieu censé les exaucer, qui a le pouvoir d'influer sur les circonstances.
    Pour que tombe la neige au Sahara C'est le vers clé du poème. L'expression « la neige au Sahara » forme un oxymore mais l'amour de la poétesse seul semble être capable de créer ce miracle que les dieux ne peuvent exaucer.

    Si le désert est le seul remède à tes doutes
    Femme de sel, je serai ta route L'absence d'article devant le substantif « femme » montre à quel point la poétesse est prête à renoncer à sa personne autant qu'à son individualité afin de se mettre au service de son amant. Elle n'est plus seulement le repère géographique de ce dernier (cf « je serai ta lune, ton repère) mais son marchepied, son tapis rouge, ce qui n'est pas sans rappeler un autre grand texte contemporain bien que postérieur, celui de Maître Gim's « J'aimerais devenir la chaise sur laquelle elle s'assoit/ Ou moins que ça, un moins que rien/ Juste une pierre sur son chemin » (Bella). La référence à la statue de sel confirme la notion de soumission de l'amante mais également sa capacité à s'adapter au milieu, à se fondre dans le décor (on pense au désert de sel) par amour.
    Et si la soif nous brûle, je prierai tant qu'il faudra. Le « nous » est employé une deuxième fois, comme pour sceller définitivement la re-formation du couple. La subordonnée circonstancielle de comparaison a remplacé la relative derrière le verbe prier, ce qui confirme que le destinataire des requêtes importe peu et que seule l'ardeur des personnages pourra les sortir de cette situation.
    Dis-moi si je peux couvrir tes épaules. L'impératif « dis-moi » suivi de l'hypothétique fait écho au vers 1, ce qui symbolise un retour à la situation initiale : le couple, bien qu'ébranlé, s'est reformé. Mais la structure en chiasme laisse également planer une menace sur le voyage des amants. Le « je », par l'utilisation du semi-auxiliaire « pouvoir » dans la périphrase modale, est à la fois dans la soumission et dans l'action puisqu'il s'en remet à la décision de l'amant mais est également sujet tandis que l'amant est en position de COD. La dimension maternelle, que ce soit par la présence du verbe « couvrir » et l'action de réchauffer mais également par la symbolique des épaules (l'idée de protection, la notion d'épauler) est très présente. La femme remplit la triple fonction de servante, de mère et d'amante, ce qui fait écho à l'absence d'article devant le mot femme, comme vu précédemment.
    De voiles d'or et d'argent. Ce vers confirme que la protection est avant tout symbolique. Ici, il s'agit davantage d'un sacrifice que la fidèle voue à son idole que d'une tentative de le réchauffer. L'or rappelle à la fois la couleur du sable tout en s'y opposant puisque celui-ci avait été qualifié de « jaune » dans le premier couplet. On constate d'ailleurs que le même système est utilisé pour l'argent qui s'oppose au blanc du sable évoqué précédemment. On a ainsi l'impression que si ce sable envahit le paysage, c'est pourtant l'amant qui l'illumine de sa présence. L'or symbolise à la fois la pureté, la majesté et le principe divin dans la matière, l'éternité. L'argent symbolise également la pureté mais est davantage associé au pôle féminin. L'or et l'argent symbolisent donc ici l'alliage parfait de la femme et de son amant.
    Quand la nuit fera tourner ta boussole
    Vers les regrets froids des amants. La disparition des pronoms de première et deuxième personne coïncide avec la mise à distance des personnages :« des amants ». La poétesse est prête à tout pour accompagner celui qu'elle aime mais cela n'agit en rien sur sa lucidité. Elle reste capable d'envisager sans affect leur avenir, comme le montre la postposition de l'adjectif « froid », mis en valeur par le contraste qu'il créé avec la chaleur du lieu et des termes comme « brûle ». La boussole est ici utilisée dans son acception symbolique, elle n'indique pas les points cardinaux mais la direction à suivre : celle du retour à la maison. Il faut noter également que c'est la nuit personnifiée, symbole à la fois des obstacles rencontrés (le froid, la peur) et de l'incertitude, qui incline l'aiguille de la boussole.

    L'amour apparaît donc dans ce poème comme le seul dieu digne de foi, le seul capable de répondre favorablement aux requêtes et de déplacer les montagnes.

    Ce poème fait écho en cela à celui de Jean-Jacques Lafon, qui dans Le géant de papier,

     

    rappelle tout ce que le plus grand des sentiments peut permettre à l'amant d'accomplir. « Demandez-moi de combattre le Diable, d'aller défier les dragons du Néant ». Mais là où le poète du Géant de papier se heurtait à ses limites en face de l'être aimé : « Tout me paraît réalisable et pourtant […] quand je la regarde, moi l'homme loup au cœur d'acier, devant son corps de femme, je suis un géant de papier », l'amante mise en scène par Angun va jusqu'à dépasser ses propres peurs pour accomplir les miracles en présence même de celui qu'elle aime, non plus seulement pour tenter de le conquérir mais pour le garder auprès d'elle à tout jamais.

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