• C'est une chose d'écrire un essai brillant et bouleversant. C'en est une autre de faire de la littérature. David Amiel et Ismaël Emelien ont prouvé qu'il était tout à fait possible de concilier les deux dans leur ouvrage qui fera date. Le progrès ne tombe pas du ciel, c'est en effet la communication faite art, le vide intersidéral élevé au rang de fulgurance de la pensée, le trou noir avant même les photos.

     

    Si le résultat est prodigieux, on aurait toutefois tort de croire qu'une telle prouesse est inaccessible au commun des mortels. Une analyse précise du génie des auteurs devrait au contraire permettre à chaque écrivain en herbe d'écrire son propre chef d'oeuvre. Voici quelques conseils pour rédiger chez vous un essai littéraire digne de ce nom.

     

    Tout d'abord, pour trouver un titre, choisissez, comme nos auteurs, une notion creuse que vous intégrerez à une expression lexicalisée en la modifiant légèrement. Amiel et Emelien ont choisi « le progrès », nous prendrons « l'optimisme ». Nous pourrions intituler notre livre Avoir l'optimisme sur la main.

     

    A partir de cette notion, construisez une expression fourre-tout que vous déclinerez à l'infini car pour exprimer une pensée, rien ne sert d'expliquer ou d'argumenter, l'essentiel est de répéter à point nommé. Le progrès, nous expliquent nos deux intellectuels clés en main, c'est aussi la « maximisation des possibles ». Mais pas seulement : c'est également « la recherche des possibles », « l'exploration émancipée des possibles », « l'expansion des possibles », « davantage de possibles », « élargir les possibles », « accroître les possibles », « le plus de possibles », « protéger le(s) possibles » « ouvrir de nouveaux possibles pour tous ». Nous nous arrêterons là car nous aurions tôt fait de recopier l'intégralité du livre et ce serait vraiment dommage de « spoiler » la fin.

     

    Grâce à ces précieux conseils, nous avons déjà une bonne quantité de matière en notre possession. Mais pour atteindre à la littérature, il faut soigner le style et ceux qui ont lu les grands auteurs savent qu'il n'y a pas de Werber, de Nothomb ou d'Angot sans images fortes. Dans un essai littéraire, l'image doit être à la fois esthétique, propice à la rêverie et révélatrice : elle est là pour illustrer la thèse, pour en démontrer de façon limpide le caractère incontestable. C'est ce que nos Marcheurs-Penseurs de la start-up nation ont parfaitement compris lorsqu'ils écrivent : « comme si la politique n'était qu'un mitigeur de robinet permettant de mélanger l'eau chaude et l'eau froide jusqu'à atteindre la tiédeur parfaite », « la politique doit passer du prêt-à-porter au sur mesure », « c'est oublier que pendant la course les gens trébuchent » ou encore « pour cela nous devons soulever le capot de la voiture pour mettre les mains dans le moteur ».

     

    Non contents de frôler la poésie, Amiel et Emelien savent remodeler les motifs en transfigurant les expressions toutes faites de leur génie littéraire et politique : « Nous refusons fermement l'approche qui consiste à ne pouvoir habiller Pierre qu'en déshabillant Paul. Cela ne signifie pas pour autant que Pierre doive se débrouiller pour s'habiller seul ». De même, tel Jésus s'adressant à la foule, ils ont toujours une parabole à portée de bouche pour expliquer au peuple ce dont il a besoin afin de le guérir par le miracle de la parole performative : « Ces partis traditionnels se sont placés dans la même situation qu'un médecin qui répondrait contre toute évidence à son patient se tordant de douleur : c'est dans la tête je vous assure que vous n'avez pas mal ». En Marche !, au contraire, a trouvé le remède. « Vous n'aimez pas la douleur ? », nous demandent les conseillers de Jupiter, « C'est normal, ce dont vous avez besoin, c'est de plus de douleur pour guérir le mal par le mal ».

     

    Mais ce n'est pas tout. Si l'on veut vraiment créer un chef d'oeuvre, il faut aller plus loin car il n'y a pas de vraie littérature sans véritable révolution linguistique. Pour ce faire, les maîtres du « en même temps » ont plusieurs cordes et même plusieurs flèches adaptées aux enjeux de notre époque à leur arc.

     

    Tout d'abord, l'art de la formule, le seul capable par exemple d'introduire un élément perturbateur tout en reléguant le groupe Téléphone dans les poubelles de l'histoire : « quelque chose ne tournait pas rond dans la société ». C'est cet indépassable sens de la formule qui fait révolution et qui permet à nos deux progressistes des possibles de dire des choses aussi profondes que : « il ne faut pas changer de société » mais « la société » ou que le progressisme « rend les « possibles » possibles ! ».

     

    Ensuite, l'art de l'inversion. Celui-ci ne doit surtout pas être un simple effet de style et doit veiller à s'éloigner le plus possible de la rhétorique et des sophismes. Exemple : « l'égalité des chances n'est pas une chance pour l'égalité » ou « (le progressisme) ne doit pas se contenter de faire venir les citoyens vers la politique notamment à l'approche des élections mais faire aller la politique vers les citoyens ».

     

    Enfin, il doit faire preuve de nuance et cette nuance ne doit jamais se faire au détriment de la clarté ou de la cohérence d'ensemble du propos. Ainsi, lorsque les disciples de Manu évoquent une « mondialisation sans soumission », « une diversité sans division » et « un individu sans individualisme », le lecteur est tout de suite plus avancé grâce au « suspense sans attente » et à « l'impatience sereine » ainsi créées.

     

    Attention toutefois : si l'écrivain doit savoir éviter les effets de manche, il doit se garder également des clichés et préférer l'originalité, surtout lorsqu'il s'agit de faire miroiter au lecteur un avenir meilleur et un horizon constellé de possibles : « C'est à partir de millions de petites touches de couleurs que les progressistes dessinent leur tableau ». Et que les élèves de maternelle font leur collage de gommettes.

     

    Pour terminer, faites attention au ton que vous employez. C'est ce qui différencie le simple essai de l'oeuvre littéraire. Celui-ci doit être solennel sans être grandiloquent afin de ne jamais verser dans le ridicule : « Nous ne serons plus jamais de la chair à canon. Nous ne serons plus jamais de la chair à dogmes. Nous ne serons plus jamais de la chair à partis » écrivent les Bouvard et Pécuchet du XXIè siècle, dans un élan de lyrisme qui donne la chair de poule.

     

    C'est ce ton à la fois sobre et sentencieux qui va permettre à nos deux Caton du progressisme trasnpartisan de terminer leur ouvrage par une conclusion qui n'a rien à envier ni aux meilleurs essais ni aux plus grands excipit de roman. « Nous avons montré que le progressisme a un devoir (…) nous avons montré qu'il avait des ennemis (…) nous avons montré que le progressisme a un avenir » expliquent les auteurs. Quoi de mieux en effet pour souligner la pertinence d'une démonstration que de l'auto-valider ? Puis les chantres du néolibéralisme bienveillant et de la dérégulation encadrée de conclure « Le progrès ne tombera plus jamais du ciel. C'est une histoire à taille humaine. La vôtre ? ». Montaigne, Flaubert et Proust peuvent dormir tranquilles : la relève est assurée.

     

    Tentons à notre tour d'écrire un paragraphe d'un essai Amielemelien

     

    Avoir l'optimisme sur la main

     

    L'optimisme, c'est la maximisation des positifs, c'est l'accroissement émancipé des positifs, c'est l'addition bienveillante des positifs de tous horizons qui ouvre sur de nouveaux possibles. Jusqu'ici la société a essayé de vous faire croire que le monde dans lequel nous vivons est comme un puits qui n'aurait plus d'eau. Mais si chacun d'entre vous met une goutte dedans, ce puits à sec sera bientôt une fontaine d'eau vive de laquelle jailliront une utopie sans idéalisme et une béatitude sans euphorie. Il ne faut pas changer de vision de monde mais notre vision du monde. C'est à cette condition que nous pourrons positiver nos positifs ! Car la lucidité sur la vie n'est pas une vie de lucidité. L'optimisme ne viendra pas à vous, c'est à vous d'aller vers l'optimisme. C'est à partir de millions de petites pierres que les optimistes bâtissent leur cathédrale du bonheur. Nous ne serons plus jamais les esclaves du pessimisme. Nous ne serons plus jamais les esclaves de la vision des autres. Nous ne serons plus jamais les esclaves des circonstances. Nous aurons toujours l'optimisme sur la main. C'est une invitation à le saisir. Le ferez-vous ?

     

     

     

     

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